dimanche 12 septembre 2010

Les retraites

« Le plan épargne retraite sera une manne fantastique pour la Bourse. »
L’hebdomadaire Investir.
Que prévoit le programme du CNR ?
« Une retraite permettant aux vieux travailleurs de finir dignement leurs jours »
Qui le croirait ? A l’automne 1983, l’âge légal de la retraite vient de descendre à 60 ans. Les préretraites se multiplient, façon de masquer le chômage. Et dans les enquêtes d’opinion, une majorité de Français parient encore sur un nouvel abaissement... à 55 ans ! Bref, « l’opinion reste assez indifférente » - comme s’en désespère, dans Le Figaro, le démographe de droite Alfred Sauvy. Alors, que faire pour balayer cet optimisme – et faire entrer les retraites dans l’ère libérale ? « Informer les hommes au lieu de les faire rêver, répond Le Figaro. C’est simple, c’est tout simple, mais quelle bataille ! »
Dans cette « bataille de l’opinion », les lobbys patronaux partent fleur au fusil : l’Institut de l’Entreprise recommande, en 1985, une « retraite à la carte » plutôt qu’une « retraite couperet ». La même année, André Babeau, un universitaire (devenu depuis administrateur de deux sociétés d’assurances…), publie « La Fin des retraites ? » Tandis que les sondeurs et la presse font sonner l’artillerie lourde : « Un sondage CSA – Le Parisien – AGF révèle que les Français n’ont plus confiance dans le seul régime de retraite par répartition et commencent à capitaliser » (3/02/88). Une compagnie d’assurance paie ainsi une « étude » pour un quotidien. Comme si un journal s’alliait à des fabricants de cigarettes pour une enquête sur le tabac…

Une manne pour la Bourse
C’est qu’en cette décennie 80, la Finance triomphe. Il faut que les retraites passent également sous sa coupe. Edouard Balladur, alors ministre de l’Economie et des Privatisations, s’y emploie, en 1987, avec son Plan Epargne Retraite : « un instrument de préparation individuelle à la retraite », largement « défiscalisé ». De quoi, précisait son ministère, « orienter l’épargne vers des produits permettant d’accroître le développement du marché financier » (Le Figaro, 5 octobre 1987).
Qui y gagne à ce jeu-là ? « On ne s’en rend pas vraiment compte aujourd’hui mais le plan épargne retraite sera une manne fantastique pour la Bourse » , note l’hebdomadaire Investir, ravi : « le PER apporterait donc entre 20 et 50 milliards d’argent frais. » Et il suffit de regarder les publicités, placardées dans les dossiers « Spécial retraite » : « Banque Hervet. Age d’or : + 55 % en 4 ans », « Cardif dynamise votre retraite », « Groupe MAAF. Donnez de l’intérêt à votre avenir » (Le Figaro, 5 octobre 1988). Un nouveau marché s’ouvre, offert aux banquiers et aux assureurs…

- 36 % pour les pensions
En 1993, Edouard Balladur – le mentor de Nicolas Sarkozy – revient à la charge, comme Premier ministre cette fois : durant l’été, les salariés du privé passent de 37 ans et demi de cotisations à 40. La pension n’est plus calculée sur les dix meilleures années, mais sur les vingt-cinq. Et son montant ne suit plus l’évolution des salaires, mais des prix. Des mesures qui, d’après les économistes de l’IRES, produisent une diminution des retraites de 36 %. Autant que les salariés combleront – s’ils le peuvent – grâce à leurs banquiers et leurs assureurs…
Voilà les retraites partiellement « privatisées ».
Une fois créée cette division, cette inégalité entre public et privé, les gouvernements plaideront avec constance pour « aligner » les modes de calcul… sur le moins favorable aux travailleurs : plan Juppé en 1995, réforme Fillon en 2003, régimes spéciaux en 2008. Et aujourd’hui, rebelote : Nicolas Sarkozy veut à nouveau reculer l’âge de la retraite. Pas franchement pour que les salariés travaillent plus longtemps : il faudrait des emplois, pour ça. Mais de quoi faire baisser le montant des pensions. Et ouvrir un peu plus le marché aux assurances privées...
Habillage de gauche
Contre les retraites, c’est la droite qui a porté les coups les plus durs. Mais loin de rompre avec la logique balladurienne, les socialistes l’ont confortée – et habillée. En 1989, Pierre Bérégovoy transforme ainsi le PER en PEP - Plan d’Epargne Populaire - et se déclare « pour la retraite par capitalisation ». En 1997, de même, Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l’Economie, préparera des « fonds de pension à la française » - rebaptisés « fonds partenariaux ». « Partenaire » et « populaire » : en deux adjectifs, le capitalisme devient « solidaire »…
Retraites : Et alors ?
Les retraites par répartition sont remplacées par de l’épargne individuelle, et alors ? « A la fin des soupes que nous faisons pour les gens à la rue, qui voyons-nous arriver ? note Patrick Dugoix, délégué général d’Emmaüs. Des personnes âgées qui viennent récupérer la fin de la soupe pour manger. Ca, ça n’existait plus. Avec la réforme des retraites Balladur en 95, qui produit ses effets quinze ans plus tard, la pauvreté des personnes âgées est en train de remonter. »

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