lundi 28 janvier 2013

« La compétitivité des entreprises passe par le renforcement du pouvoir des salariés »

Par Ivan du Roy
Que signifie vraiment être compétitif pour une entreprise ? Est-ce réduire les coûts à tout prix, quitte à détruire les compétences des salariés et à étouffer toute créativité ? Pour François Daniellou, professeur d’ergonomie à l’École nationale supérieure de cognitique, la compétitivité des entreprises françaises passe au contraire par une démocratisation du travail et un renforcement du pouvoir des salariés, les mieux à même de définir « ce qui fait la performance de leur activité ». Une démocratisation dont le patronat ne veut pas.

Basta ! : « La crise sert à tester jusqu’où on peut aller dans la flexibilité », alertiez-vous il y a quatre ans. Quel bilan dressez-vous aujourd’hui ?
François Daniellou [1] : Il existe une flexibilité visible : le chômage partiel, les grands plans de licenciements ou de suppressions d’emplois dans l’industrie. Et une flexibilité quasiment invisible : la sous-traitance en cascade dans le BTP, le recours à des salariés, notamment étrangers, dans des conditions extravagantes. Le niveau d’inventivité de formes d’emplois de plus en plus précaires est sans limite ! En tant qu’ergonome, quand j’accompagne un inspecteur du travail, j’ai l’impression de visiter les soutes de la République. Dans une agence d’intérim, un inspecteur a même découvert un logiciel d’optimisation des fraudes. La crise a bien été l’occasion de perfectionner sans arrêt la précarité de l’emploi.
Comment renverser le discours dominant qui présente le travail essentiellement comme un coût, comme une charge pour les entreprises ?
Si on paie un ouvrier, cela veut bien dire que l’on a besoin de son intelligence, sinon le poste serait automatisé. Si c’est juste faire ce qui est prévu, il n’y a pas besoin d’un travailleur. Ce qui fait la compétitivité des entreprises, c’est la compétence des salariés. Dans toute situation de travail, des choses ont été prévues par l’organisation et le management, d’autres non. Si les travailleurs faisaient seulement ce qu’on leur demande, rien ne sortirait des ateliers ou des bureaux. Cela s’appelle la grève du zèle. Pour pallier l’imprévu, les travailleurs déploient leur intelligence. Or, dans la majorité des entreprises françaises, les travailleurs sont obligés de se battre contre l’organisation pour compenser ce qui n’a pas été prévu. Ils le font dans l’ombre, sans que cela soit reconnu, débattu ou rémunéré.
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