dimanche 31 mars 2013

Le retour de la lutte de classe

Entretien avec Domenico Losurdo
D. Losurdo est un des chercheurs italiens en philosophie les plus traduits au monde. Tous ses livres ont déjà eu des éditions en anglais, étasunien, allemand, français, espagnol mais aussi portugais, chinois, japonais et grec. Nous oublions sans doute quelques langues. Le Financial Times et la Frankfurter Allgmeine Zeitung, entre autres, lui ont consacré de nombreuses pages. Traitement qui jure avec celui qui lui est réservé dans son pays (et en France, NdT), où ses travaux font l’objet, souvent et volontiers, d’un silence étudié. Sans que, toutefois, ceci n’ait d’incidence sur les ventes, si l’on s’en juge aux éditions réitérées de ses ouvrages.
Son dernier ouvrage est publié ces jours-ci aux Editions Laterza, sous le titre : La lotta di classe. Una storia politica e filosofica (La lutte de classe. Une histoire politique et philosophique) (388 pages)  [1] ; Critica liberale est allé l’interviewer à ce sujet dans sa maison-bibliothèque des collines d’Urbino.

Professeur Losurdo, expliquez-nous cette idée d’un livre sur la lutte de classe, concept qui a souvent été donné pour mort.
Pendant que la crise économique se propage, les essais se multiplient pour évoquer le « retour de la lutte de classe ». Avait-elle disparu ? En réalité, les intellectuels et les hommes politiques qui proclamaient le déclin de la théorie marxienne de la lutte de classe commettaient une double erreur. Dans les années 50, Ralf Dahrendorf affirmait qu’on assistait à un « nivellement des différences sociales » et que ces modestes « différences » mêmes n’étaient que le résultat de la réussite scolaire ; mais il suffisait de lire la presse étasunienne même la plus alignée pour se rendre compte que dans le pays-guide de l’Occident, aussi, subsistaient des poches effroyables d’une misère qui se transmettait de façon héréditaire de génération en génération. Et la seconde erreur, de caractère proprement historique, était encore plus grave. C’était les années où se développait la révolution anti-coloniale au Vietnam, à Cuba, dans le Tiers Monde ; aux Usa les noirs luttaient pour mettre fin à la white supremacy, le système de ségrégation, de discrimination et d’oppression raciale qui pesait encore lourdement sur eux. Les théoriciens du dépassement de la lutte de classe étaient aveugles devant les âpres luttes qui se déroulaient sous leurs yeux.
Donc, si nous avons bien compris, vous élargissez sémantiquement l’expression « lutte de classe », en y incluant une gamme de problèmes et de questions beaucoup plus ample ?
Oui, Marx et Engels attirent l’attention non seulement sur l’exploitation qui se déroule dans le cadre d’un pays singulier, mais aussi sur l’ « exploitation d’une nation par une autre ». Dans ce second cas aussi nous avons affaire à une lutte de classe. En Irlande, où les paysans étaient systématiquement expropriés par les colons anglais, la « question sociale » prenait la forme d’une « question nationale », et la lutte de libération nationale du peuple irlandais non seulement était une lutte de classe, mais une lutte de classe d’une importance particulière : c’est dans les colonies, de fait –observe Marx- que « la barbarie intrinsèque de la civilisation bourgeoise » se révèle dans sa nudité et dans toute sa répugnance.
Pouvez-vous nous expliquer davantage la genèse historico-philosophique de votre lecture si inhabituelle des catégories traditionnelles ?
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