vendredi 26 juillet 2013

Pourquoi la figure de l’étranger infuse-t-elle autant le discours politique et l’appareil d’Etat ? Le philosophe Alain Brossat analyse, sévèrement, comment l’art de gouverner reste aujourd’hui contaminé par ce geste obscur du rejet de l’autre

Pourquoi la question de « l’étranger parmi nous » obsède-t-elle aujourd’hui, de manière démesurée, le discours politique ?
Alain Brossat - Le geste philosophique dont je me sens proche s’attache davantage au « comment » qu’au « pourquoi », je veux dire aux causes ultimes ou à l’origine première des objets ou phénomènes sur lesquels nous travaillons. Dans ce travail, je pars de ce constat : d’une part, la question de l’étranger, telle qu’elle est non seulement mise en discours mais aussi mise en pratique par nos gouvernants, est le domaine par excellence où les éléments de rationalité, les stratégies, l’art de gouverner, etc., sont constamment envahis et contaminés par les fantasmagories. C’est, par opposition à « l’imagination au pouvoir », le basculement et la fuite perpétuels dans l’imaginaire, un imaginaire réactif peuplé d’une multitude de menaces disparates et de projections fantastiques sur les parois de la caverne du présent – le spectre du terrorisme islamique, l’insoutenable envahissement de nos cités par les Roms, insupportables parasites, etc.
Un indice très sûr de cette dérive de la politique de l’étranger de nos gouvernants dans les eaux de l’imaginaire sécuritaire est son écart croissant avec les analyses produites par les corps de spécialistes disposant d’une expertise sur ces questions et incarnant, disons, un certain principe de réalité – démographes, sociologues, historiens, etc. Ce n’est pas par hasard que ceux qui inspirent les ministres de l’Intérieur en la matière (ceux-là mêmes qui donnent le la de la politique de l’étranger réduite, symptomatiquement, aux conditions d’une politique de l’immigration) sont des exaltés de la défense sociale repeints aux couleurs de la criminologie comme Alain Bauer plutôt que des historiens ou des démographes respectés comme Gérard Noiriel ou Hervé Le Bras…
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