vendredi 3 octobre 2014

Simulacres de démocratie

Par Bernard Cassen
Dotée de considérables budgets de communication — qui, eux, ne sont pas amputés par des mesures d’austérité — la Commission européenne part du principe que si un débat public est organisé au niveau européen sur un sujet donné, il ne saurait avoir d’autre conclusion que la validation de ses propres positions. S’il y a le moindre risque, pas de débat. On en a eu un exemple significatif avec la gestion des critiques des adversaires du projet de traité visant à instituer un Grand marché transatlantique (GMT ou TAFTA ou TTIP ou PTCI ) [1] entre l’Union européenne (UE) et les Etats-Unis.
Le PTCI s’annonce comme le plus sensible des problèmes qu’aura à traiter la nouvelle Commission européenne dès sa prise de fonctions dans le 1er novembre. Vu l’ampleur des oppositions qu’il soulève, il rappelle le Traité constitutionnel européen (TCE) rejeté par les électeurs français et néerlandais en 2005, ce qui aurait dû l’enterrer définitivement. Mais, par une démarche s’apparentant à une véritable forfaiture, son contenu avait été repris pratiquement à l’identique dans le traité de Lisbonne de 2007 [2]. C’est pour tenter d’éviter la répétition de ce scénario que le collège bruxellois a décidé d’engager une action de relations publiques de grande ampleur, sans envisager une seconde qu’elle pouvait avoir un effet boomerang. Il l’a fait dans le cadre des dispositions du traité de Lisbonne qui, sur un thème qu’elle choisit, autorisent la Commission à procéder à « de larges consultations des parties concernées » [3].
C’est ainsi que le commissaire européen au commerce, le Belge Karel De Gucht (qui sera remplacé en novembre prochain par la Suédoise Cecilia Malmström) avait annoncé le 21 janvier 2014 l’organisation d’une consultation publique sur la clause la plus controversée du projet de traité sur le GMT : la mise en place de tribunaux d’arbitrage privés pour régler les différends entre Etats et investisseurs, c’est-à-dire une justice sur mesure pour les multinationales [4]. Près de 150 000 réponses [5] ont été reçues à la date de clôture de la consultation (le 13 juillet), dont plus de 99 % émanant de citoyens à titre individuel. Environ 800 contributions provenaient d’organisations : ONG, syndicats, entreprises, cabinets d’avocats, etc.

A première vue, le commissaire aurait de bonnes raisons de se féliciter du succès de son initiative. Mais la vérité est qu’il est très embarrassé car il pressent que l’immense majorité des réponses individuelles sont hostiles au dispositif d’arbitrage envisagé. Il lui faut maintenant trouver un habillage pour neutraliser ce résultat prévisible lorsqu’il sera rendu public en novembre prochain. L’une des méthodes envisagées serait, en cas de réponses identiques, par exemple élaborées par une ONG et reprises telles quelles par un citoyen, de ne les comptabiliser que comme une seule et unique réponse. De cette manière, 149 000 réponses pourraient se réduire à quelques dizaines ou centaines…

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