samedi 25 février 2017

Avec les forces anti-austérité, Ruffin part en jacquerie législative

Grâce au soutien de l’ensemble des forces de gauche hors PS, le journaliste et initiateur de Nuit debout est candidat à l’élection législative chez lui, dans la Somme, dans une circonscription emblématique.
Ce vendredi, dans la petite ville de Longueau, à la périphérie d’Amiens, les oiseaux font entendre les chants que les habitants avaient oubliés depuis des mois. Jusqu’à ce que, du parking de la mairie, un vacarme tonitruant vienne faire voler en éclats la quiétude de cette fin d’après-midi. Camion à (puissante) sono, drapeaux invitant à une « Picardie debout », Çasuffix, la mascotte vivante en forme de betterave : les gens du cru reconnaissent aisément la patte Fakir, celle de François Ruffin, le journaliste amiénois, réalisateur du film Merci patron ! et ­désormais candidat de la gauche (hors PS) à l’élection législative dans la première circonscription de la Somme.

En 1984, Bernard Arnault accélère la casse de l’industrie locale

Le temps de se répartir dans les voitures, le cortège se met en marche, haut-parleurs hurlants et drapeaux aux fenêtres. À chaque village, de nouvelles voitures rejoignent la file. Direction Flixecourt, cœur géographique de la circonscription, mais aussi son cœur politique et social. Flixecourt, c’est une petite ville symbole de la grande époque du capitalisme industriel familial et paternaliste. Toute la cité s’est construite autour des usines de textile Saint-Frères : crèches, magasins coopératifs, habitats ouvriers. Un passé révolu dont reste aujourd’hui comme symboles les châteaux des maîtres dominant la ville. À travers le temps, les maîtres ont changé. Et l’un d’eux a accéléré la déchéance de l’industrie locale : en 1984, l’usine fait partie des premières acquisitions d’un certain Bernard Arnault, qui en pille les richesses avant d’entraîner sa liquidation. « Flixecourt, c’est le point de départ de mon film, c’est le point de départ de la fortune de Bernard Arnault », explique Ruffin. Ce sera donc aussi le point de départ de sa campagne législative.
Le choix de cette circonscription ne relève donc aucunement du hasard. Longtemps terre rouge vif (ce fut celle du député PCF Maxime Gremetz), elle a ­légèrement pâli après le ­redécoupage des circonscriptions en 2010. Aux ­législatives de 2012, c’est une socialiste, Pascale Boistard, qui y a été élue. Devenue entre-temps membre du gouvernement (secrétaire d’État aux Droits des femmes, puis aux ­Personnes âgées), elle est depuis devenue l’une des ferventes défenseuses de la ligne Valls. Mais sur cette circonscription, c’est surtout le FN qui gagne du terrain. « 51 % des ouvriers qui se sont déplacés aux urnes aux dernières régionales ont voté FN, rappelle François Ruffin. Certains disent : “le plus gros parti c’est l’abstention”, mais il y a les chiffres et puis il y a ce que tu sens quand tu vas au bistrot. Les gens qui parlent maintenant, c’est ceux qui votent FN. » Pour cette législative, l’extrême droite sera représentée par le comédien Franck de La ­Personne, qui, malgré une carrière médiocre, faisait récemment la fierté du FN.
Vendredi, à 19 heures, l’espace culturel Le Chiffon Rouge est déjà plein à craquer. Sur scène, ce soir, ce sont les salariés de Whirlpool à Amiens, qui ont récemment appris la fermeture de leur usine pour 2018, qui sont à l’honneur. En mesure de rétorsion, Ruffin veut une loi pour interdire les produits Whirlpool en France. Il rêve de « nouvelles jacqueries qui partiraient de la Picardie » et fait sien le mot d’ordre d’alors « Paix au hameau, feu au château ».

« Il a débloqué des trucs encore figés ailleurs. C’est incroyable ! »

Lui qui comme député veut être « un individu qui vote librement, pas aux ordres d’un parti » a réussi un tour de force, à ce jour unique dans le pays : rassembler autour de sa candidature l’ensemble des forces de la gauche en dehors du PS : PCF, EELV, France insoumise, Ensemble ! C’était même la condition qu’il avait fixée à sa candidature. « Je n’ai jamais cru au mouvement citoyen qui venait de zéro, explique-t-il. Je n’ai jamais cru qu’on pouvait aller dans une lutte électorale sans avoir les organisations. Je ne suis pas du tout “du passé faisons table rase”. » Ce soir-là, dans le public, à Flixecourt, Julien Bayou, conseiller régional EELV en Île-de-France et figure des mouvements sociaux de Jeudi noir à Nuit debout, est venu soutenir la démarche. « C’est un beau pari de rassembler toute la gauche. Il a débloqué des trucs encore figés ailleurs, ­notamment le soutien de la France insoumise ! C’est ­incroyable », s’enthousiasme-t-il. À Flixecourt, ce vendredi soir, la dynamique du rassemblement semblait en tout cas fonctionner. Au point même d’y croiser quelques élus socialistes, encore incognito, mais prêts à faire connaître bientôt leur choix de la gauche unie, face à celle qui a renoncé.

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