samedi 20 mai 2017

« Dommage que les associations n’aient pour l’heure pas d’interlocuteur au gouvernement »

Philippe Jahshan : « Il faut que la vie associative soit incarnée au niveau gouvernemental pour que les mesures futures ou qui ont déjà été adoptées soient réellement mises en œuvre par l’administration. »

Le Mouvement associatif porte la parole de la plupart des réseaux associatifs de France. Son président, Philippe Jahshan, analyse l’absence de ministre compétent pour la vie associative ou l’économie sociale et solidaire et rappelle les aspirations de ce secteur privé non lucratif pour le nouveau quinquennat.
Deux jours après la nomination du gouvernement Philippe, le Mouvement associatif a-t-il trouvé son ou ses interlocuteurs ministériels ?
Philippe Jahshan. Pas encore. On attend encore les attributions de chacun des ministres. Pour l’heure, nous regrettons que la vie associative et l’économie sociale et solidaire n’apparaissent nulle part. Globalement, les secteurs sociaux sont peu visibles : le logement, la famille, la jeunesse n’ont pas de ministères dédiés. Des ajustements viendront peut-être après les législatives. Nous avions demandé lors de la campagne de la présidentielle un ministre pour la Vie associative. Il est dommage que les 13 millions de bénévoles, les 170 000 associations employeuses de près de deux millions de salariés ne l’aient pas obtenu. Mais nous voulons rester constructif. Le vocable « solidarité » se retrouve dans le portefeuille du ministère de la transition écologique et solidaire de Nicolas Hulot, ou dans celui des Solidarités et de la Santé d’Agnès Buzyn. Les associations couvrent effectivement tous ces champs. A nous d’être force de proposition et d’instiller de nouvelles dynamiques.
Ne déplorez-vous pas que l’économie sociale et solidaire n’ait plus sa place au sein du ministère de l’Economie et des Finances, comme lors du quinquennat précédent ?
Philippe Jahshan. Vaut-il mieux avoir comme interlocuteur un ministre d’Etat chargé de la transition écologique, convaincu et connaisseur du monde associatif, ou un ministre un peu moins connaisseur, mais à Bercy ? Je serai pour maintenir un pied dans ces deux institutions. Nous sommes des acteurs économiques. Mais nous sommes aussi acteurs des transitions sociales et écologiques, des acteurs de l’engagement. Nous sommes présents dans des territoires en difficulté. Nous y sommes parfois les seuls interlocuteurs des habitants. Nous alertons donc pour que des politiques publiques générales prennent en compte ces territoires. Dans ce contexte, pourquoi ne pas installer notre interlocuteur auprès du Premier ministre ?
Le Mouvement associatif a appelé, dans l’entre-deux tours, à « s’opposer au pire et agir pour une France plus juste et solidaire », en faisant barrage à la candidate d’extrême-droite. Si la première urgence électorale a été parée, que peuvent faire les associations pour répondre à la seconde urgence sociale afin d’éviter le même scénario au deuxième tour dans cinq ans ?
Philippe Jahshan. Le monde associatif est confronté tous les jours à ces urgences sociales. Notre travail est reconnu puisqu’il est plébiscité par les Français (voir à ce propos ). Ca nous conforte dans les solutions que nous mettons en œuvre pour répondre aux besoins de collectif, de liberté d’engagement, de justice sociale, d’une économie qui a du sens, d’une démocratie plus ouverte, de plus d’égalité. Il me semble que ces aspirations souvent contrariées se sont largement exprimées au premier tour de la présidentielle. Au nouveau président de savoir se saisir des opportunités que portent les associations afin de réduire les fractures sociales et territoriales. Nous ne sommes pas des béquilles sociales des politiques publiques, mais un réservoir de solutions produites dans le cadre d’une autre façon de faire de l’économie. Nous voulons que l’économie sociale et solidaire prenne une place encore plus importante dans l’économie de notre pays. Encore faut-il que l’on réponde à cette forte mobilisation.
Sur quelle base souhaitez-vous nouer les relations avec le nouveau gouvernement ?
Philippe Jahshan. Il faut que la vie associative soit incarnée au niveau gouvernemental pour que les mesures futures ou qui ont déjà été adoptées soient réellement mises en œuvre par l’administration. Un exemple : la circulaire Valls et la loi ESS de 2014, qui sécurisent la subvention, sont des mesures acquises dans les textes, mais qui ne sont pas encore suffisamment intégrées par les services de l’Etat et des collectivités, faute de culture de la vie associative. Il faut que ces services comprennent que les subventions sont des investissements. Pas de coûts. Elles sont très rentables socialement. Elles sécurisent financièrement les associations qui sont des acteurs de l’économie et qui prennent des risques pour répondre aux besoins de nos concitoyens, mais avec une gestion désintéressée et non lucratives. Nous serons d’ailleurs vigilants pour que cette non lucrativité demeure. Or, en diminuant leurs subventions, les associations se retrouvent mises en concurrence avec des entreprises du secteur marchand, dans les secteurs des services notamment. Cette dérive pousse les associations dans une logique de rentabilité. Ces structures se voient parfois contraintes d’abandonner une activité insuffisamment rentable. Par exemple, une association de service à la personne peut être tentée de diminuer son offre aux habitants des zones rurales, faute de financeurs ni d’usagers solvables, pour se recentrer sur celui en direction des urbains. Mais tout n’est pas soluble dans les enjeux de rentabilité. Et ce critère pose la question de la prise en compte de l’intérêt général. Le prochain gouvernement ne doit pas franchir cette ligne rouge qui porte péril à l’existant et détricote les solidarités tissées de longue date.
Le recours aux financements privés, les actions menées en partenariat avec des entreprises, étaient privilégiés dans le programme ESS du candidat Macron…
Philippe Jahshan. On ne se positionne pas en opposition à ces évolutions. Mais on est prudent. Ainsi, nous portons une attention soutenue sur les contrats à impact social (par ce mécanisme financier, une association est financée par des bailleurs privés pour mener une expérimentation sociale. Si les effets de cette expérimentation sont évalués positivement, l’Etat offre un taux de rentabilité aux investissements privés, ndlr). Leurs effets et conséquences n’ont pas été suffisamment évalués. Le gouvernement précédent s’est engagé dans cette voie sans débat ni garanties suffisants. Ces contrats posent la question de qui procède à l’évaluation, qui définit les indicateurs d’efficacité. Si nous restons dans une logique expérimentale, pourquoi pas. Mais ce mode de financement n’est pas généralisable. Et il faut dissocier les logiques d’évaluation et de financement. Nous sommes pour renforcer l’évaluation de nos actions, leurs impacts. Je viens du monde des associations de solidarité internationale où, depuis vingt ans, ont été mis en place des mesures d’impact sur leurs interventions à l’extérieur de la France. Mais ces évaluations sont mises au service de la qualité du projet associatif et non des outils de financement. Elles ne doivent pas être cantonnées dans une logique de paiement sur résultat. D’autre part, ces mécanismes financiers mettent en péril l’un des grands atouts de l’association : sa capacité à rendre service, à innover, quitte à corriger les erreurs. Fonder le financement des associations uniquement sur des enjeux de rentabilité à court terme reviendrait à rogner leur capacité d’initiative.
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